Léo Vézina (1922 – 1966)

LÉO VÉZINA
(1922-1966)

De l’école à la guerre… Biographie de Léo Dominique Vézina

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Un p’tit gars de Saint-Michel-de-Bellechasse
fait un long détour par la Deuxième Guerre mondiale

1922

Par une belle journée d’automne de 1922, Léo Dominique Vézina voit le jour à Saint-Michel de Bellechasse. Village tricentenaire situé entre terre et mer dans la grande région de Chaudière-Appalaches ; membre de l’Association des dix plus beaux villages du Québec. Il est le cinquième enfant d’une famille de huit. Ses parents, Stanislas Vézina et Blanche Marceau, sont nés et ont grandi également dans cette paroisse. La Première Guerre mondiale aura été prétexte à leur union.

À cette époque, l’activité maritime revêt une grande importance à Saint-Michel. Cléophas, le père de Stanislas, est capitaine de son propre bateau, la goélette Sainte-Anne. Il fait du cabotage sur le Saint-Laurent jusque dans le golfe. Il fut aussi capitaine du Champion, navire transportant passagers et denrées de Québec vers les différents villages côtiers, Saint-Michel inclus. On navigue donc de père en fils chez les Vézina et leur réputation de loups de mer n’est plus à faire dans ce coin de pays. Ils connaissent le fleuve comme le fond de leur poche.

En dehors de la saison de navigation, Stanislas continue de voyager par ses talents de peintre et, tout spécialement celui de doreur à la feuille. Il apprend son pays par ses églises, chapelles, institutions religieuses, publiques et gouvernementales pour lesquelles il exerce son savoir-faire. Sa lignée de navigateurs de père en fils s’arrêtera avec lui.

C’est donc au sein de cette grande famille et de ce beau village que débute l’humble histoire de Léo Dominique Vézina ; Léo pour les intimes.

Son enfance

Enfant rieur, taquin et d’un optimiste désarmant, Léo est élevé dans la sécurité de la petite propriété familiale de la rue Saint-André. Il grandit en force et en santé entouré de ses frères et sœurs, des coqs et du potager que sa mère entretient. Ce fut son phare, son havre et plus tard, sa balise.

1929 – Les bancs d’école

À l’automne 1929, Léo fait son entrée sur les bancs d’école. Il fréquente le collège des Frères Maristes du village où un enseignement de qualité est dispensé aux garçons depuis 1853. Cette période marque également le début de la Grande Crise économique qui apportera son lot de difficultés durant les dix années qui suivront. On dit de Léo qu’il est un élève doué. Il a le sang d’artiste de son père. Ses années d’études lui permettent de s’épanouir sur plusieurs plans de sa vie sociale, mais surtout en culture physique : c’est un assidu du gymnase du collège !

Au travail !

À sa sortie du collège, Léo trouve un travail de commis et livreur à l’épicerie de son oncle Lionel Vézina. On le surnomme Ti-Pit, parce qu’il chante tout le temps. Cet emploi lui permet de se prendre en main et de se payer des journaux. Il dépose pratiquement la totalité de sa paie dans le tablier de sa mère.

1939 – Début de la Deuxième Grande Guerre

Le 10 septembre 1939, le Canada entre en guerre. Il se range aux côtés de la Grande-Bretagne et de la France pour contrer l’agression allemande. Quoique très mal préparé pour la guerre, le Canada met sur pied des forces terrestres, navales et aériennes importantes. Le pays tout entier s’investit pour soutenir l’effort de guerre. Le service militaire obligatoire sème la terreur.

Le 7 janvier 1942, Léo et son petit cousin Roger décident de passer à l’action. Les deux michelois prennent l’autobus pour Québec et se dirigent au bureau de recrutement 14 R 1C Unité Québec. Ces deux jeunes visent très haut et s’enlignent illico devant les portes de la Royal Canadian Air Force (RCAF). Une queue de jeunes volontaires déborde de la porte jusque dans la rue.

N’entre pas dans la RCAF qui veut. Il faut se conformer à plusieurs critères d’admission et passer des tests, autant physiques que psychologiques. Deux longues journées sont consacrées à compléter des formulaires, à passer des examens médicaux et d’endurance ainsi que de sérieux tests écrits et oraux ; il faut mesurer ce que ces recrues ont dans la tête et dans le ventre.

Léo est prêt à tout pour joindre les rangs des aviateurs. Il a une grande confiance en lui et cette attitude transparaît. Après s’être plié à tous ces tests et directives, son dossier affiche des notes quasi parfaites. On y indique même un physique athlétique. La seule ombre au tableau : la langue anglaise. Les tests d’expression orale et écrite démontrent que ce candidat possède un excellent français, mais il doit travailler à maîtriser l’anglais de la même façon. Aucun problème pour Ti-Pit qui ne demande pas mieux que d’enrichir son vocabulaire.

Après recommandations des officiers rattachés aux divers postes d’évaluation Joseph Léo Dominique Vézina est accepté dans la Royal Canadian Air Force. Sous serment, il signe tous les papiers requis. On le félicite, on lui souhaite la bienvenue dans les rangs de cette formation d’élite et on lui attribue un matricule. On l’invite ensuite à passer à la photographie, aux empreintes digitales et autres formalités d’usage. Le 8 janvier 1942, Léo Dominique quitte son statut civil et devient le matricule R.136634 JLD Vézina.

Ce p’tit gars du village de Saint-Michel-de-Bellechasse est loin de se douter qu’une grande aventure l’attend. Cet oiseau ne s’envolera pas seul, car la candidature de son petit cousin Roger Vézina a aussi retenu l’attention des officiers recruteurs.

L’entraînement débute

Halifax, Nouvelle-Écosse est l’endroit tout désigné pour accueillir les jeunes hommes francophones pour l’entraînement militaire et l’apprentissage de l’anglais. Le 5 février 1942, jour de son départ, Léo salue sa famille et promet à sa mère de revenir sain et sauf avec tous ses morceaux. Plusieurs autres garçons sont au rendez-vous à la base militaire d’Halifax, Division 1X – Dépôt RCAF. La plupart n’ont pas encore 20 ans. Ils ont choisi l’aviation car ils s’imaginent fendant le ciel aux commandes d’un puissant avion engagé dans un combat contre l’ennemi.

La tâche de cette division est de diriger ces milliers de jeunes recrues vers un métier qui convient à leurs habilités, de les discipliner sans émousser leur témérité, de leur transmettre le savoir-faire pour mener à bien des opérations aériennes dangereuses et, finalement, de leur inculquer les réflexes qui sauveront leur vie et celle de leurs coéquipiers. On s’occupe également de vêtir ces jeunes hommes de l’uniforme bleu aviation qu’ils sont très fiers de porter.

L’entraînement commence sans tarder par la discipline militaire et l’étude des rudiments de l’aviation. Entre les cours s’intercalent les sempiternelles manœuvres (drill) et les exercices de maniement d’armes. La plupart de ces recrues quittent leur famille et leur village pour la première fois et le hurlement du sergent instructeur n’est pas de tout repos. Ça prend du caractère ! Certains craquent : ils ne dorment plus, vomissent tout ce qu’ils ingurgitent et frisent la dépression.

Do you speak English ?

Comme les autres francophones nouvellement recrutés, Léo apprend à parler l’anglais. Mieux vaut bien posséder l’anglais puisque les aviateurs appelés à servir au Royaume-Uni doivent absolument comprendre le jargon des contrôleurs aériens. Enfin, après les examens de cette première étape, Léo fait partie des recrues qualifiées et recommandées par le Air Officer Commanding pour joindre les rangs de ceux qui vont voler.

Léo ne lâche pas !

En avril 1942, les recrues entrent à l’École préparatoire (Initial Training School). Tout n’est pas gagné d’avance. Ce n’est qu’à la fin de leur stage de sept mois qu’ils sauront s’ils se qualifient pour devenir pilote, navigateur, mitrailleur, bombardier ou radiotélégraphiste, selon le poste qui leur convient le mieux et pour lequel ils démontrent des aptitudes. C’est leur performance à bord d’un simulateur bien ancré au sol (Link Trainer) qui décidera de leur sort. Beaucoup de techniques à apprendre, beaucoup d’heures d’études et des pratiques sans cesse répétées. Tout ça, bien sûr, agrémenté de drill et d’incessants cours d’anglais. Durant ces sept mois de stage, on scrute ces apprentis aviateurs à la loupe pour s’assurer de leur aptitude au vol.

Les entraîneurs détectent très vite l’optimisme inné de Léo Dominique. On observe aussi son courage, son sang froid et ses très bons réflexes. Sa rapidité d’action et sa grande précision dans l’atteinte des cibles sont dignes de mention. Il jouit en outre d’une forme physique exceptionnelle et d’une très bonne vue. Fort de ces atouts, il prouve aussi qu’il a une grande capacité à performer dans l’isolement total et dans le bruit.

À la fin du stage, Léo est sélectionné pour travailler sur les bombardiers. On l’invite à joindre les rangs des mitrailleurs (Air Gunner). Cette gloire est à la hauteur de son travail et de sa persévérance. Une fois les membres d’équipage choisis, l’entraînement plus poussé pour les mitrailleurs doit se poursuivre à la B&G School de Mont-Joli. Cette formation technique de vingt-huit semaines est essentiellement donnée en classe et complétée par un petit nombre d’heures de vol.

«Malades comme des chiens, à genoux dans le fond de ces avions dans lesquels nous nous entraînions, appareils rapatriés d’Angleterre ornés de pièces de soudure pour en cacher les trous. Mon cœur y a passé plusieurs fois !» Jean-Paul Corbeil, vétéran de la même escadrille que Léo

L’entraînement se poursuit…

Après Mont-Joli, les Air Gunner participent à un stage de six semaines à la Bombing and Gunnery School à MacDonald, au Manitoba, pour le maniement des mitrailleuses et l’étude des tourelles hydrauliques des bombardiers. Ces aviateurs nouvellement diplômés ne sont pas encore prêts pour les opérations aériennes. Ils possèdent sans doute le savoir, mais manquent d’expérience. Ils sont vite assignés à des unités d’entraînement opérationnel OTU (Operational Training Unit) rattachées aux bases aériennes de la Royal Air Force au Royaume-Uni.

Clic clic … et on embarque !

Avant leur départ outre-Atlantique, les jeunes aviateurs se prêtent à une séance de photos. Léo porte fièrement son uniforme, une aile brillante sur la poitrine gauche et un demi-sourire fier sur son visage juvénile. Il s’empresse de poster sa photo à sa mère avec un petit mot lui disant de ne pas s’inquiéter, qu’il lui reviendra sain et sauf avec tous ses morceaux. Pour la rassurer, il ajoute en post-scriptum : les paroles s’envolent, mais les écrits restent.

Le 8 octobre 1943, du quai de New-York, Léo embarque à bord du Queen Mary I qui mènera tous ces jeunes à bon port. Son cousin Roger ne suivra pas, pour des raisons de santé.

1943 – De l’entraînement aux opérations

Le 16 octobre, après huit longues journées en mer, le Queen Mary I accoste en Angleterre. Ces militaires, épuisés et courbaturés, sont aussitôt transportés au dépôt de la Royal Air Force de Bournemouth. Cet endroit est un centre de traitement de grande envergure où les troupes entrantes sont postées jusqu’à ce qu’elles soient attitrées à une unité de formation. C’est à cet endroit que Léo fête ses 21 ans.

Un mois plus tard, il reçoit l’ordre de se présenter avec ses bagages à l’OTU #23 à Pershore, dans le Worcestershire. Cette unité a pour but de parfaire les techniques de commando et d’entraînement sur les vrais bombardiers, habituellement sur les Wellington et Halifax. C’est une sorte d’entre-deux avant de joindre une escadrille en fonction. C’est principalement à cette unité que l’on commence à former des équipes. Aussitôt l’équipage formé, les jeunes deviennent vite tricotés serré. Ils ne rêvent que de leur première vraie mission.

En mars, Le log book de Léo cumule déjà 133 heures de vol, dont près de la moitié de nuit. Cette nouvelle affectation lui laisse croire qu’il est sur le point de passer dans les ligues majeures.

La formation religieuse bien ancrée amène méditation et recueillement chez plusieurs de ces jeunes hommes. Ils sont en plein carême et l’imposition des cendres sur le front évoquant le « Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière » prend tout son sens sur ces terrains d’entraînement où surviennent de fréquents accidents. En effet, des équipages en pratique ne reviennent pas, d’autres explosent à l’atterrissage ou se frappent au décollage. Les jeunes aviateurs sont souvent attitrés aux corvées pour ramasser les débris et les restes des corps de copains qui, la veille, leur tiraient la pipe lors du déjeuner.

Son heure n’est pas venue !

Lors d’une nuit de pratique, le bombardier dans lequel Léo prend place s’écrase à l’atterrissage. Sur le choc, l’avion se scinde en deux et devient un véritable brasier. Léo est extirpé de justesse et ne donne plus signe de vie. Après cinq jours de coma, il se réveille et apprend qu’il est le seul survivant de cet écrasement. Ses tests médicaux ne révèlent pas de blessure grave, à part quelques ecchymoses et ce vilain choc à la tête devant être surveillé de près dans les prochains jours. Léo peut être rapatrié au Canada. C’est tentant de rebrousser chemin et de rentrer à la maison ; il en a assez vu. Néanmoins, ce michelois n’a pas envie de faire marche arrière après tout le chemin parcouru. Il persiste.

L’entraînement est fini

En avril 1944, avec plusieurs de ses compagnons, Léo est attitré à l’Escadrille 425 «Alouette» à la Base de Tholthorpe en Angleterre. Dès leur arrivée à l’escadrille, ils se réjouissent à la seule pensée de ne plus avoir le statut d’élève, mais celui d’aviateur confirmé apte à voler. Ils se sentent libérés du carcan de discipline qui a toujours pesé lourdement sur leurs jeunes épaules. Ils sont libres d’agir à leur guise.

Ce 425e Escadron est principalement composé d’aviateurs canadiens-français. En créant cet escadron, le gouvernement canadien souhaitait abaisser la barrière linguistique qui nuisait à l’engagement des membres de communautés francophones dans l’Aviation Royale Canadienne où l’anglais est la langue de travail. L’aviation civile d’après-guerre puisera abondamment dans ce bassin de main d’œuvre bilingue hautement qualifiée.

Les aviateurs ne sont pas formés comme soldats de combat pour tuer les gens en face à face. Leur formation et mission première sont de détruire les emplacements de stratégies militaires. Les bombardements visent des objectifs de transport : gares de triage, chemins de fer et trains afin d’isoler le champ de bataille de Normandie et les industries allemandes essentielles à la guerre.

L’équipage

Léo est assigné au commandement de Jules Dargis (Darkie). Il en est très fier, car Jules et lui ont à leur actif plusieurs heures conjointes d’entraînement. Roland Énos (Jim) fait également partie du groupe. Léo et lui ont développé une grande complicité depuis leur entraînement à l’O.T.U. #23. Ils ont des atomes crochus. Durant toutes les missions, ils se partageront le nez et la queue de l’appareil.

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Devant baissé de gauche à droite

Jules Dargis Darkie, Trois-Rivières, pilote et commandant d’équipage (1)
Roméo Roland Énos Jim, Montréal, bombardier pointeur (4)
J.F. Rosaire Garneau Jeff de Baie-Comeau, navigateur (3)

Derrière debout de gauche à droite
J. Léo Dominique Vézina Vez, Saint-Michel-de-Bellechasse, mitrailleur arrière. (6)
W.R. Williams Will, RAF Angleterre, ingénieur de bord (2)
J. Léonard Konantz Nick de Geraldton, Ontario, mitrailleur dorsal (7)
Julien Thomas Côté Tom de Lafond, Alberta, sans filiste – opérateur radio (5)

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(Le chiffre entre parenthèse indique leur position sur le bombardier)

Léo s’intègre facilement au sein de sa nouvelle équipe. Les gars s’agacent entre eux et on se plaît à lui répéter la rumeur qui circule, non sans fondement, voulant que l’espérance de vie d’un mitrailleur arrière soit inférieure à trois heures et demie. Léo s’amuse de ces propos et gage qu’il fera mentir cette rumeur, car il a l’intention de tenir au moins six heures ! Au fond de lui-même, il se rappelle que cette position lui a sauvé la vie quelques semaines auparavant. Après un mois, cet équipage enregistre déjà cinq missions. Le Flight Sergeant de Saint-Michel-de-Bellechasse, devenu Vez, ne compte plus les heures de vol qu’il cumule dans son log book depuis sa première envolée.

Le mitrailleur arrière

Le poste de Léo est isolé du reste de l’équipage avec qui il n’est relié que par une radio. Ce poste est considéré comme le plus exigeant physiquement, tant pour l’exiguïté du lieu que pour la basse température et l’inconfort de l’opérateur. En cas d’avarie majeure, cet équipier est livré à lui-même et à son parachute. À chaque mission, Léo assume plusieurs responsabilités. Sa fonction première est de défendre l’appareil contre les chasseurs ennemis. Advenant une attaque, il donne des directives précises au pilote pour qu’il effectue des manœuvres d’évitement et, si nécessaire, il tire. Assis aux premières loges, il est également désigné pour aider le navigateur à localiser les points de repères confirmant son trajet.

Le jour J

Plusieurs escadrons sont employés pour soutenir les alliés lors de l’invasion monumentale du 6 juin 1944, en Normandie, qui a posé les prémices de la défaite allemande. Selon la Nanton Lancaster Society, 5% des bombardiers qui décollent chaque soir ne reviennent jamais. Ainsi, voler à bord d’un de ces appareils est ce qu’il y a de plus dangereux dans l’armée alliée. L’équipage dont Léo fait partie a fait deux sorties lors de cette invasion.

Une mission difficile

La soirée du 25 juillet 1944 débute comme bien d’autres. Aux alentours de 20h30, l’équipage de Darkie se dirige vers la salle d’instructions. Ils ressemblent à des hommes-marshmallow dans leurs combinaisons de vol. L’officier responsable des instructions soulève le rideau et leur montre la cible : des centres de triage ferroviaires à Stuttgart, au sud-ouest de l’Allemagne. À une plus grande distance que d’habitude. C’est leur 22e mission. Jusque là, ils ont tenu le coup.

Durant ce vol vers Stuttgart, tout se passe comme prévu. Ils jettent des morceaux d’aluminium pour tromper les radars ennemis et naviguent dans un air dépourvu de turbulence. Soudain, un chasseur allemand les surprend par-dessous. Darkie arrive à l’éviter, mais l’avion est légèrement touché. On constate que le compas de l’appareil fait défaut. L’équipe redouble d’attention. Difficile d’établir la position exacte de l’avion. Après avoir longtemps survolé des espaces inconnus en Allemagne et en Autriche, Darkie réussit à localiser la France et puis l’Angleterre. Il fait atterrir son appareil sur la première base rencontrée au sud du Royaume-Uni. Ils devaient voler cinq heures pour exécuter ce raid sur Stuggart. En réalité, ils auront volé huit heures et demie.

Un camarade rayon de soleil sur la base

Léo rit souvent et généralement à ses propres dépens. Son esprit est vif, parfois galvaudé, mais toujours honnête. Il a un don pour se faire des amis et développer une grande camaraderie. Il ne compte plus les lettres qu’il reçoit et expédie à ses amis et sa famille. Cette correspondance lui permet de tisser un lien encore plus étroit avec sa mère. Il est prêt à essayer des nouveautés et il s’implique à fond dans tout ce qu’il fait. Son nom est sur la liste des volontaires prêts à aller donner un coup de main aux Anglais. Ces derniers profitent des jours de congé des jeunes militaires pour les engager à effecteur des travaux manuels. En plus d’être payés, ces jeunes voient du pays. Souvent, ces supposés travaux ne sont qu’un prétexte pour attirer les aviateurs canadiens dans des familles où il y a des filles à marier. Les belles Anglaises craquent à la vue de ces garçons vêtus de l’uniforme militaire et qui s’expriment avec un drôle d’accent. Léo aime bien ces sorties et joue le jeu. Il profite de tous les bons moments qui passent, sans toutefois s’engager. Une belle brune de son village, qu’il connaît depuis l’enfance, lui trotte encore dans la tête.

Alouette, je te plumerai
Missions accomplies !

Mercredi 13 septembre 1944 : dernière sortie. Les gars n’aiment pas la date, le chiffre 13 porte malheur ! Darkie n’y peut rien, ce n’est pas lui qui décide. Les gars se ressaisissent et leur courage prend le dessus. Ce soir-là, à 20h25 précises, le bombardier est de retour à la base. Les gars sont excités. L‘équipage vient d’accomplir sa 35e mission. Un tour opérationnel complet. C’est l’euphorie totale à l’intérieur de l’appareil. Leur joie est indescriptible. La mort ne fera plus partie de leur quotidien. Ils flattent et embrassent ce fameux Halifax fiable et costaud, le Jolly Roger, dans lequel ils ont mis toute leur confiance… et leur vie. Ce gros oiseau de fer est à jamais imprégné de toutes leurs émotions et restera gravé dans la mémoire de ces jeunes, devenus aviateurs pour la cause.

En octobre, avec plus de 380 heures de vol outre-mer à son actif, Léo est rapatrié. Après six longues journées en mer, le navire accoste à Digby en Nouvelle-Écosse. À l’aube de ses 22 ans, Léo pose enfin le pied sur la terre de ses aïeux. C’est le cœur serré et les larmes aux yeux que ces jeunes hommes se quittent se promettant de toujours garder le contact. Un nombre effarant d’aviateurs canadiens dispersés sur les bases d’Angleterre ne sont pas revenus. Statistiquement, les chances des équipages de bombardiers de compléter les trente-cinq missions obligatoires étaient d’une sur trois. Après la guerre, Arthur Harris, le chef du Bomber Command, avoua sans détour : « Ils étaient virtuellement, et ils ne le savaient que trop, des condamnés à mort en sursis ».

Fin 1944 – L’oiseau revient au nid

La mère de Léo est au poste. Depuis le matin, elle va et vient, incapable d’accomplir quoi que ce soit. Pour rien au monde elle ne veut rater le retour de son Ti-Pit. L’autobus arrive enfin et s’arrête. La porte s’ouvre. Léo ramasse sa grosse poche bleue, dans laquelle les souvenirs qu’il rapporte d’Angleterre se mêlent à ses affaires personnelles, et franchit la porte. Il affiche une impressionnante tenue avec son uniforme par-dessus lequel il porte un manteau bleu foncé richement tissé. Un grand courant de fierté lui parcourt tout le corps. Aussitôt qu’il voit sa mère, ses sourcils blonds se relèvent, les muscles de ses yeux se relâchent et les plis autour de sa bouche se transforment en un large sourire. Son cœur bat très fort. Joie, tristesse et soulagement se bousculent à l’intérieur de sa poitrine. Après une gentille moquerie, il ne peut s’empêcher de se tourner lui-même en dérision : « J’t’avais promis, m’man, que je r’viendrais avec tous mes morceaux ! Y’en manque pas un, tu peux vérifier partout si tu veux ! ».

D’un pas militaire droit et précis, la grosse poche de toile sur son épaule, Léo a hâte de revoir sa petite maison de la rue Saint-André. Il ouvre la porte et entre enfin chez lui. Il pose sa poche à terre et sent une grande libération sur ses épaules, autant physique que psychologique. Il constate que rien n’a changé.

Cet aviateur de la Deuxième Guerre mondiale, après un dur entraînement, un crash et trente-cinq missions dans le corps, est enfin de retour au bercail ! Sa capacité à gérer ses émotions jumelée à son sens de l’humour inné sont des qualités qui lui ont permis de rester sain d’esprit, tandis que mouraient des milliers d’autres jeunes hommes, durant cette guerre atroce. Léo, ce garçon au sourire juvénile, ressemble maintenant beaucoup plus à un homme. Son visage s’est affiné et ses yeux sont devenus plus méfiants. La guerre l’a transformé. Il fait maintenant partie de la Special Section General List – Gunnery Branch Québec. Ces aviateurs sont les premiers sur la liste d’urgence.

Doux printemps

Un vendredi de printemps, au retour de Québec, Léo se rend au magasin général du village. Cet aviateur est loin de se douter que sa vie est sur le point de changer. La clochette de la porte se fait entendre, c’est Jeanne d’Arc Lamontagne la belle brune du haut de la côte de l’Église qui entre d’un pas sûr. Léo est envahi par une forte émotion qu’il ne peut nommer. Vêtu de son uniforme, c’est avec une allure fière et un pas de drill qu’il se dirige vers elle. Il lui fait un majestueux salut arrimé au bruit de ses bottes luisantes qui se frappent. Jeanne d’Arc est stupéfaite par cette apparition, complètement abasourdie par la vision de ce beau militaire. Léo remarque qu’elle n’a plus rien de la petite écolière qui lui laissait transporter son sac d’école quelques années auparavant. Il sait d’instinct que cette jeune fille est l’amour de sa vie. Sa prochaine mission : conquérir son cœur !

Épilogue

La série de médailles de Léo, bien alignées sur sa barrette, ainsi que ces quelques lignes ne racontent que brièvement l’histoire d’un p’tit gars de Saint-Michel-de-Bellechasse devenu aviateur pour la circonstance et volontairement parti combattre outre-mer.

Même si le dossier médical de Léo Dominique Vézina, devenu Pilot Officer CANJ 92045, indique qu’il est revenu au pays sans aucune séquelle, on peut supposer que son corps tout entier est resté marqué par cette guerre. Dans sa mémoire sont bien ancrées des images d’horreur et dans sa peau, sur l’avant-bras gauche, le tatouage de l’aigle de la RCAF lui rappellera tous les jours ses vingt ans. Aucun d’eux n’a oublié, mais rares sont ceux qui se glorifient de cette période héroïque. Ce sont bien souvent leurs enfants ou des tiers qui les sortent de l’anonymat et évoquent leurs souvenirs.

Aujourd’hui, le Jour du Souvenir est le seul jour de l’année consacré à aider la jeune génération à comprendre le sacrifice de ces vétérans qui ont risqué les meilleures années de leur vie.

1946 – L’après-guerre

En juin 1946, Léo et Jeanne d’Arc unissent leur destinée en l’Église de St-Michel-de-Bellechasse. Le couple s’installe au village. Léo quitte l’Aviation Royale Canadienne et reprend son statut civil. En plus des contrats de peinture qu’il prend avec son père, il fait du lettrage et fabrique des enseignes. Il a un grand talent pour la calligraphie et la signalétique. La famille s’agrandit au même rythme que les années. De mai 1947 à décembre 1951, Jeanne d’Arc donne naissance à ses 4 premiers enfants, trois garçons et une fille. Au travers les bons et moins bons moments, le couple de michelois connaît des années de vache maigre. Léo est un homme vaillant qui a le cœur à l’ouvrage. Il touche à plusieurs métiers pour gagner la vie de sa famille qui est devenue sa priorité. Il n’a pas peur de s’éloigner pour aller chercher le travail là où il se trouve : on le verra s’exiler notamment en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick et au Labrador. Les épreuves auxquelles il fait face ne lui enlèvent pas sa joie de vivre et sa bonne humeur. Son plaisir de chanter résonne encore dans les oreilles de ceux qui l’ont connu.

1955 – Un métier qu’il fera sien

Au milieu des années ’50, l’ex-aviateur de la Deuxième Guerre mondiale développe un talent pour le plâtre. Un métier qu’il fera sien. Dans ce domaine, à l’instar de son père dans le sien, Léo devient un ouvrier reconnu et fortement sollicité. Les contrats fusent. La réputation de Léo n’est plus à faire dans le domaine des joints de gyproc, du stucco et tout ce qui touche le plâtre. Il est un des premiers à se déplacer sur des échasses ajustables qu’il a lui-même fabriquées. Il met ses qualités athlétiques à profit. C’est tout un spectacle de le voir s’exécuter aussi aisément que les personnages de cirque. Il descend et monte les escaliers, outils en mains. Il économise ainsi le temps des échafaudages.

En novembre 1961, la famille est complète et compte sept enfants : quatre garçons et trois filles. Léo voit grand et ajuste son regard à un idéal de jours meilleurs. C’est la promesse qu’il a faite à Jeanne d’Arc. Il témoigne aux siens une telle attention, ils sont sa fierté! C’est pourquoi il adore étaler sa progéniture lors de la visite du curé.

1966 – Le voyage de pêche

Dimanche 15 mai 1966. La journée est splendide. La famille a prévu un voyage de pêche. Parents, enfants, beaux-frères et belles-sœurs font partie de l’excursion. Ils partent trois autos à la queue leu leu direction Saint-Philémon / Sainte-Euphémie.

En fin d’après-midi, sur le chemin du retour, les pêcheurs décident d’arrêter tester la Rivière Noire à Armagh. Chemin faisant, une conductrice venant en sens inverse perd le contrôle de son véhicule, effectue une fausse manœuvre et frappe de plein fouet le camion de Léo, côté conducteur. Sur l’impact, la porte s’ouvre, Léo est éjecté et écrasé par son véhicule qui fait deux tonneaux avant de retomber sur ses roues. Au deuxième tonneau, Jeanne d’Arc, tenant son dernier fils à bras le corps, est expulsée à son tour.

Après l’impact, l’aîné court aussitôt porter secours à son père qui, étendu sur l’asphalte, donne signe de vie. Une infirmière arrête sur les lieux et apporte les premiers soins. Léo a froid. On le couvre et on lui soulève la tête. En un rien de temps, une foule de curieux s’amassent pour regarder la scène. La route est bloquée.

Les policiers de la Sûreté du Québec et les ambulanciers arrivent. Léo est toujours conscient. Il se plaint de maux à l’abdomen. À 17h15, les blessés entrent à l’unité d’urgence de l’Hôtel-Dieu de Lévis. Le père de famille est immédiatement pris en charge par l’équipe de trauma. La mère et son fils sont soignés pour des blessures mineures. Léo a beaucoup de difficultés à respirer. Il se plaint de douleurs au thorax. Sa tension est basse et son pouls est rapide et filant. Il tombe en état de choc profond. On le monte en salle d’opération. On garde confiance. À 3h55, Léo est toujours inconscient. Son fils aîné est constamment à ses côtés. Il entend son père prononcer de manière fébrile quelques phrases en anglais, comme s’il était attaqué par un chasseur ennemi. Les instruments s’agitent. Le personnel intervient sur-le-champ. Le silence radio se fait entendre. Mission terminée !

Le 16 mai 1966, à 4h du matin, Joseph Léo Dominique Vézina rend l’âme dans une chambre de l’unité d’urgence de l’Hôtel-Dieu de Lévis. Il a 43 ans. Dans un mois, il fêtait ses 20 ans de mariage avec sa belle brune du village. On reste bouche bée. Ça peut arriver à n’importe qui, mais pas à Léo !

Durant trois longues journées, le salon funéraire est bondé. Lors de la mise en terre la température est clémente. On s’apprête à descendre le cercueil tranquillement dans la fosse. Le temps se suspend pour tous les gens autour ; les proches sont anéantis. C’est la dernière ascension de Léo. Cet oiseau de bonheur repose en paix au cimetière de Saint-Michel-de-Bellechasse, le terrain de jeu de prédilection de son enfance.

Conclusion

Avec ses 7 enfants, 17 petits-enfants et 16 arrières-petits-enfants, Léo était loin de se douter qu’il prolongerait une des branches importantes du grand arbre de la Famille Vézina qui fleurit particulièrement dans le comté de Bellechasse !

Ces lignes ont été extraites du livre « Le dernier chant de l’alouette » écrit pas sa fille Sylvie et imprimé à 100 exemplaires numérotés pour la famille et les proches. Ce livre, à la préface signée par Marcel Tessier, se veut une œuvre généalogique et biographique de la vie de Léo.

Il fait l’objet d’un dépôt légal à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec et à la Bibliothèque et Archives Canada, 2006

ISBN-13 : 978-2-9809705-0-4
ISBN-10 : 2-9809705-0-6

Il est disponible pour consultation auprès de l’Association des Vézina d’Amérique.

GÉNÉALOGIE DE LÉO VÉZINA

1ère – Jacques Vezinat marié à Marie Boisdon, contrat à La Rochelle, France
2è – François Vezinat, Le puîné, marié à Marie Clément, le 10 avril 1679 à L’Ange-Gardien
3è – Pierre Vézina marié à Élisabeth Mathieu, le 22 février 1710 à L’Ange-Gardien
4è – Michel-Basile Vézina marié à Marguerite Tremblay, le 24 novembre 1760 à L’Ange-Gardien
5è – Michel Vézina marié à Marie-Euphrosime Fortin, le 3 novembre 1978 à Cap-St-Ignace
6è – Michel Vézina marié à Marie-G. Lebrun, le 27 avril 1819 à Cap-St-Ignace
7è – Phydîme Vézina marié à Henriette Lacasse, le 12 juillet 1847 à St-Michel-de-Bellechasse
8è – Cléophas Vézina marié à Anaïs Dion, le 15 janvier 1878 à St-Michel-de-Bellechasse
9è – Stanislas Vézina marié à Blanche Marceau, le 12 janvier 1915 à St-Michel-de-Bellechasse
10è – Léo-Dominique Vézina marié à Jeanne-d’Arc Lamontagne, le 15 juin 1946 à St-Michel-de-Bellechasse