Jean-Baptiste Vesina (1732 – 1806)

JEAN-BAPTISTE VESINA
CHARRETIER – CULTIVATEUR
1732-1806

Situons-nous d’abord dans le temps, en rapport avec cet ancêtre Vesina. Né le 1er novembre 1732 à L’Ange-Gardien (sur la terre ancestrale de Jacques Vezinat), il est le quatorzième enfant de Pierre Vezinat et Elisabeth Mathieu; donc, de la quatrième génération des «Vezinat, Vezina, Vesina, Vesinas» incluant l’ancêtre Jacques, «père commun de tous les Vézina d’Amérique».

À l’époque de Jean-Baptiste, la majorité des notaires orthographient Vesina, l’accent aïgu «é» n’est pas encore en usage.

Jean-Baptiste est fils et petit-fils de cultivateur. Cependant, son grand-père et son arrière-grand-père pratiquèrent aussi le métier de tonnelier. Un siècle après l’établissement des aïeux sur la «Coste des Beaux Prés» , les recensements révèlent des Vezinat établis à Québec, St-Augustin, L’Ancienne-Lorette, Charlesbourg, sans oublier L’Ange-Gardien, (paroisse incluant alors Boischatel d’aujourd’hui); avant 1764, on ne retrouve aucun patronyme Vezinat sur la rive sud de Québec entre Kamouraska et Deschaillons; même à l’Île d’Orléans, pas de Vézina établis avant 1803. C’est Charles Vezinat, sculpteur (fils de François le puîné), qui semble initier, en 1711, l’émigration des Vezinat vers l’ouest de Québec, i.e. à Neuville. Athanase Vezinat (petit-fils de François l’aîné), migrera dans la région de Montréal où on le retrace, en 1744, à l’Île Jésus (Laval aujourd’hui).

François l’aîné n’eut que deux fils, et 8 petits-fils, tandis que son frère cadet, François le puîné, eut 6 fils et 25 petits-fils. C’est pourquoi on retrouvera, en plus grand nombre, les descendants de François le puîné qui s’éparpilleront à travers le Québec.

Notre histoire se situant à l’époque de la Conquête, notons qu’il n’existe pas de «tradition militaire» parmi la filiation des Vézina. Pas d’officier ni de capitaine. La recherche en ce sens, dans diverses listes, n’en trouve pas. La fonction ne les intéresse pas.

Revenons à notre Jean-Baptiste. À l’occasion de son contrat de mariage avec Marie-Geneviève Trudel, en 1757, Jean-Baptiste ne reçoit aucun don de ses parents, contrairement aux coutumes; la grande pauvreté qui sévit depuis le début de la guerre peut en être l’explication. Lui a 24 ans et elle 22. Ils s’installent dans la ville de Québec, puisque leur premier né, Jean-Baptiste, est baptisé à la paroisse Notre-Dame-de-Québec en décembre 1757. Ce bébé décède quelques mois plus tard. Son père est alors dit «voiturier».

En scrutant les recensements, on y rencontre, aussi à Québec, sa soeur Félicité (mariée à Étienne Dubreuil du Conseil Souverain), ses frères: François, voiturier en haute-ville, Pierre, charpentier, demeurant rue Sous-le-Fort de la basse-ville (Place Royale), ainsi que des cousins Vezinat.

Sans aucun doute, la vie du couple est perturbée par les événements de 1759. L’état de siège de la ville de Québec, et les bombardements intensifs, forcent les résidents à fuir la ville. On se niche chez de la parenté, à Charlesbourg, Neuville… moins proche du danger, de la menace trop évidente. Tous les hommes, formant la milice dans les paroisses, sont appelés sous les armes. L’établissement d’une partie importante des troupes de Wolfe, à L’Ange-Gardien, eut d’importantes conséquences sur les familles de l’endroit. Même que nombre d’habitants de L’Ange-Gardien se réfugient dans les bois, au-delà de la petite Rivière Ferrée.

En août 1759, Marie-Geneviève accouche à Charlesbourg (hébergée par la famille ?). Elle fera baptiser leur 2è fils, Jean-Baptiste; on mentionne l’absence du père lors de la cérémonie du 2 août. Comment vit-elle sa grossesse dans de telles circonstances ? Elle qui renaît à peine du deuil, de son premier enfant, il y a tout juste six mois.

La famille revient plus tard (après la guerre) s’établir à Québec, puisqu’un 3è fils, Joseph, y est baptisé le 19 décembre 1761. Le père y est présent. Dans quel état se trouve leur maison à leur retour en ville ? Il est écrit que «535 maisons québécoises ont brûlé et que celles qui ont échappé au feu ont eu le toît et les murs crevés par le canon» (1) ; la basse-ville est tellement en ruines «qu’il est presqu’impossible de circuler dans les rues». On ignore ce qu’il en restait, de leur propriété.

Les dégats causés à Québec par ces bombardements demandent beaucoup de main-d’oeuvre. Jean-Baptiste fut assurément du nombre de ceux qui sont réquisitionnés . Vu les grands besoins en transport de matériaux, le charretier est indispensable. Malgré la destruction systématique de la ville, l’incendie de nombreuses paroisses des environs, commandé par le général Wolfe, et la défaite subie par les Canadiens, ceux-ci doivent reconnaitre que le nouveau gouverneur, Murray, se montre cependant compréhensif de leur situation; les soldats anglais «contribuèrent chaque mois une journée de leur ration au soutien de la population» (2) . Déjà, à l’automne 1759, on assiste à plusieurs mariages mixtes (soldats anglais et filles canadiennes).

Jean-Baptiste est dit «charretier». À cette époque, le métier est très répandu. En 1775, on en dénombre 62 à Québec. Le terme semble être utilisé pour les conducteurs des calèches ou carrioles, et pour ceux transportant les marchandises. Ces derniers font la manutention de tonneaux, barils, pierre, sable, les vidanges de la ville; ils transportent du foin, du bois de chauffage, celui pour les palissades, la neige et les blocs de glace. Dans la Côte de la Montagne, qui relie la basse-ville à la haute-ville, on doit utiliser deux, même trois chevaux, attelés l’un devant l’autre.

Les moyens de transport qu’utilisait Jean-Baptiste pour son travail:

calèche Calèche

charrettecharrettes

charrette 2

dessins réalisés par Amélie Brindamour, étudiante en 2002

À l’été 1759 et 1760, s’ajoute en plus, la tâche de transporter les blessés. Depuis 1708, l’ordonnance de l’intendant Raudot les avait «contraint» (à tour de rôle par tirage au sort) au transport des cadavres de ceux qui sont exécutés sur la place publique (à Place Royale). Pour compenser ce désagrément, la Cour de justice leur accorde «…le monopole du voiturage à Québec». (3)

Les voitures sont différentes,
selon que l’on transporte des personnes ou des matériaux:

berline  la berline

carriole les carrioles

carriole 2

dessins réalisés par Amélie Brindamour, étudiante en 2002

La conjoncture politique, suite à cette conquête anglaise, a grandement modifié le climat social. Est-ce parmi les éléments décisifs qui incitent Jean-Baptiste Vesina à quitter la ville? Vivre ainsi, sous une administration très différente, côtoyer quotidiennement les soldats anglais, crée un inconfort. Le choc est-il trop fort? Après ces années de tourmente, l’adaptation est difficile. On se sent étranger dans sa propre ville. La domination des vainqueurs est perçue comme une humiliation. Sa réflexion l’amène à changer d’orientation de vie; à ce moment, il a deux fils, la mère attend son 4è.

Depuis 1711, les Soeurs Hospitalières de L’Hôtel-Dieu de Québec possèdent une ferme sur l’Isle-aux-Oyes. En juin 1764,  «… les dépendances, excepté l’ancien manoir, deviennent la proie des flammes…» (4) Jean-Baptiste est mis au courant de cette tragédie. Par son travail, il est en contact avec l’hôpital. Suite à ses conversations avec la Supérieure, il décide de signer une entente avec les religieuses. Ce bail l’engagera pour les trois années suivantes. Le contrat qu’il passe en 1764, le dit «domicilier en cette ville»; on peut supposer qu’il habitait alors la haute-ville, car les clients les plus susceptibles d’engager des charretiers sont les grands établissements: le Château St-Louis, le Séminaire, l’Hôtel-Dieu, les Ursulines, les Récollets. Une nouvelle étape de sa vie, de leur vie familiale.

C’est sur cette Île-aux-Oyes, face à Montmagny, que le jeune ménage s’établira dans un premier temps. Le bail de plusieurs clauses, l’oblige à de lourdes responsabilités. Un vrai défi. Passer de la vie de citadin à celle de cultivateur demandera de bonnes capacités d’adaptation. Il y développera ses talents de charpentier, maçon, fermier, etc…

Pour bien tremper dans le contexte de l’époque, pensons au déménagement, de Québec à l’ïle, sur une barque, avec quelques effets personnels, les enfants, la mère enceinte de 7 mois 1/2… !

Les soeurs comptent sur lui pour «relever les bâtiments» , faire fructifier la ferme, couper le foin sur les battures pour le bétail, faire le bois de chauffage, etc… Elles doivent pouvoir se fier à l’intégrité de leur «homme de confiance». Quant à la «ménagère» elle a pour tâche de faire le beurre, le potager, tout en besognant pour sa maisonnée; elle seconde sans doute son mari aux travaux de la ferme.

L’Île-aux-Grues et L’Île-aux-Oies dans l’archipel de Montmagny

archipel iles aux grues
De ce couple naîtront dix fils.

Leur premier-né meurt à 7 mois (à Québec). Février 1770: un mort-né; avril 1774: décès d’un bébé de quelques jours; mars 1777: même épreuve. Ce sera sa dernière grossesse, à 43 ans. Destin pénible. La vie d’insulaire n’a pas que des charmes! Trois de leurs fils (Jean-Baptiste, Joseph et Pierre) épouseront trois soeurs Bourgault: Jean-Baptiste avec Euphrosime en 1784, à Saint-Vallier; Joseph avec Magdeleine en 1788, à Cap Saint-Ignace; et Pierre avec Élisabeth, en 1797, à L’Islet .

C’est en 1769, que son frère Michel se fixera à L’Île-aux-Grues. En 1770, Jean-Baptiste l’y rejoindra, et, tous les deux y sèmeront une nombreuse descendance. Au XIXè siècle, les familles Vézina seront parmi les principales de l’Île. Certaines s’établieront ensuite dans plusieurs villages de la «Côte-du-Sud» et se disperseront jusqu’en Gaspésie.

Ce bref résumé-condensé ne donne pas les détails du quotidien: alimentation, habits, mobilier, us et coutumes. Les actes notariés, livres de références tels «Recettes et Dépenses des Soeurs Hospitalières» permettent de suivre ce fermier dans l’évolution des travaux, l’état des bâtisses au début et à la fin de son contrat, la grosseur du troupeau, etc… etc… Sous la plume de Mère Sainte-Hélène, on peut savourer la description des lieux, celle des conditions de vie, tant à l’Île-aux-Oyes qu’à la ville de Québec et à l’Hôtel-Dieu.

Un ancêtre qui fut l’un des pionniers Vézina dans cette région de la «Côte-du-Sud» devenue aujourd’hui partie de Chaudières-Appalaches.

Références:

(1) + (2) + (3) : « La Société historique de Québec», Cahiers d’histoire numéros 15 et 17.

(4) : «La Côte-du-Sud, Histoire d’un archipel», Jules Vézina, 1994, p. 37.

Extrait de: «L’ancêtre Jean-Baptiste Vesina (1732 – 1860) au temps de la Conquête», par: Gérard Vézina, 2002 (165 pages).

Résumé par: Céline B-Vézina (003)

GÉNÉALOGIE DE JEAN-BAPTISTE VESINA

1ère - Jacques Vezinat marié à Marie Boisdon, contrat à La Rochelle, France
2è - François Vezinat, Le puîné, marié à Marie Clément, le 10 avril 1679 à L’Ange-Gardien
3è - Pierre Vézina , marié à Elisabeth Mathieu, le 22 février 1710 à L’Ange-Gardien
4è - Jean-Baptiste Vesina marié à Marie-Geneviève Trudel, le 30 janvier 1757 à L’Ange-Gardien
5è - leurs enfants