Olivier Vézina (1805 – 1879)

OLIVIER VÉZINA
(1805 – 1879)

pilote sur le Saint-Laurent au temps des voiliers

C’est à l’Isle-aux-Grues, le 5 mars 1805 que naît Olivier Vézina. Après deux soeurs et deux frères formant la famille, il est le troisième fils de Pierre Vézina et Élisabeth Bourgault. Les grands-parents (Jean-Baptiste Vesina et Geneviève Trudel) Jean-Baptiste Vesina partagent cette maisonnée de leur fils cadet, qui a hérité du bien paternel. Au fil des ans, huit autrse enfants s’ajouteront.

SA FAMILLE:

La naissance du petit Alexis, 13è de la fratrie, marque la famille de façon indélébile. La maman, de 40 ans, y laissera sa vie, ce 12 octobre 1818. Le bébé est baptisé trois jours après les funérailles de sa mère. Pierre est absent à cette cérémonie. La tragédie vient diluer la joie d’une naissance. Ce décès laisse de nombreux orphelins désemparés, et un mari avec une trop lourde responsabilité. À peine deux mois après ce funeste événement, le père de famille décède à 49 ans, à quelques jours de Noël. Sept mois après cette rude épreuve, s’ajoute la perte d’une grande soeur, Julie, 19 ans. Olivier a quinze ans. Beaucoup de malheur pour de si jeunes personnes.

En juillet 1820, la soeur aînée, Marie, épouse Charles Lemieux; elle prend en charge le dernier-né de ses parents. Amélie et Geneviève (14 et 12 ans) prennent la relève de la maisonnée, avec l’aide de quatre frères: Pierre (19 ans), Charles (17 ans), Olivier (15 ans) et Michel (14 ans), jumeau d’Amélie. Les plus jeunes enfants sont placés dans des familles, immédiatement après la mort du père. Le notaire et les tuteurs ont une succession complexe à régler. C’est dans ce contexte de vie familiale perturbée, qu’Olivier traversera son adolescence. Parcours de vie pour le moins particulier.

SA PROFESSION:

Au moment de recevoir sa part d’héritage, en avril 1827, Olivier est dit « voyageur ». Cette expression, d’abord employée pour désigner les «coureurs des bois», est maintenant utilisée pour qualifier de jeunes hommes qui s’embarquent sur des «caboteurs à voiles».

À l’âge de 21 ans, Olivier signe un contrat de cinq ans, pour devenir apprenti-pilote. Cette convention l’engage envers son maître-pilote, Joseph Royer. À l’époque de la navigation à voile, apprendre le vocabulaire relié à cette profession est très exigeant. «De tous les métiers du monde, la marine à voile est certainement celui qui a donné naissance au lexique le plus complexe et au langage le plus coloré, savoureux et plein de verve. Le vocabulaire de la construction navale, du gréement, de la manoeuvre et des fonctions du bord ne constituent pas une simple concession au folklore ou à la tradition…».

(Marie-Josée Ouellet, Les Cathédrales de la mer, 1983, p.45).

La sécurité même des navires dépend de la compréhension qu’a le pilote de ce langage, pour conduire à bon port ces bâtiments. C’est le siècle où la voile atteint son apogée.

Au moment où Olivier reçoit sa formation, deux voyages sont obligatoires, en Angleterre (ou aux Antilles), sur des navires «à voiles carrées». Pour bien baliser cette profession, une règlementation doit toujours être en progression. Après la Conquête, en 1762, le gouverneur Murray établit la directive spécifiant que: « l’Île du Bic et l’Île aux Coudres seront deux stations où un certain nombre de pilotes devront attendre les navires montant vers Québec». À partir de 1797, un contrat notarié doit sceller l’entente entre un maître et son apprenti, qui lui, doit avoir entre quatorze et seize ans lors de son engagement, et servir jusqu’à vingt-et-un ans.

Depuis le 25 mars 1805, existe la «Loi pour mieux régler les Pilotes et Vaisseaux dans le Port de Québec, et les Havres de Québec et Montréal, et pour l’amélioration de la Navigation du Fleuve Saint-Laurent; et pour établir un Fonds pour les pilotes infirmes, leurs veuves et enfants».

(Statuts provinciaux du Bas-Canada, Acte 45, Geo. III, Chap. 12, art. 1).

On crée la «Maison de la Trinité », corporation responsable d’administrer cette loi. Le Port de Québec est désormais sous cette autorité. En 1849, son étendue part du Bassin de Portneuf jusqu’à l’entrée du Golfe Saint-Laurent, déterminée par une «ligne imaginaire» tirée entre le mouillage de l’Est de l’Île Barnabé et le mouillage de l’Est sous le Cap Columbia sur la Côte Nord.

(Le Saint-Laurent et ses pilotes, 1805-1860, Jean Leclerc, p.35).

Reportons-nous bien dans l’époque, en lisant quelques questions posées à l’apprenti-pilote lors de son examen à la Corporation:

Question:

«A quel heur est lamer haute a quebec a la plaine et nouvelle lune ? … a lisle verte? … au bicq ? … au Pot a Laudevie ? (Pot à l’Eau-de-Vie)
La sonde aitelreguliere (est-elle régulière) an approchant les Batures de Beauport ?

Réponse:

«Non elle sont rouatre, 15 brasses. Par la sonde, une ancablure. Plus atere (plus à terre) vous avé 5 brasses, c’est pourquoi il faut san méfié et nepoint alé plus ater…»

Question:

«Quelle marque avevous pour éviter labature delisle Madame?

Réponse:

«Jetient lisle auraux découvert également par les deux bout delisle Madame jusqua ceque jesoit pasé Lapointe de St-Michel …» etc…

Question:

Ou est le mouillage de lisle aux Grux et a combien de brasse mouillié vous ? Avé vous la sonde régulière et mouilliage lolong delisle auxlièvre et de sabature ?
(Le Saint-Laurent et ses pilotes, 1805-1860, Jean Leclerc, p.224).

licence du pilote Olivier Vézina

LICENCES d’OLIVIER VÉZINA – 1831 -

licence di pilote Olivier

LE MARIAGE:

Éloignons-nous du Port de Québec pour connaître celle qui sera la compagne de vie d’Olivier «dit Oliva». À 20 ans, Sophie Lemieux, fille de cultivateur de l’Isle-aux-Grues, épouse Honoré Jacques, un pilote-cultivateur de l’Île. En juillet 1833, enceinte de son 4è enfant, elle apprend le décès de son mari, par noyade . Veuve à 27 ans, elle vivra les sept derniers mois de sa grossesse seule, avec trois petits.

Deux ans plus tard, Olivier, ami du défunt époux, viendra lui faire la cour. Les conventions morales imposent de brèves fréquentations. Le contrat de mariage est signé le 7 octobre 1835 à Québec, par le même notaire Ouellet, qui avait déjà rédigé un premier contrat (de mariage) pour elle quelques années plus tôt. C’est toutefois au Cap Saint-Ignace (notaire Larue), que sera légalisée la tutelle des enfants. L’inventaire des biens de la succession (de l’époux) montre une certaine aisance financière chez la veuve. Le mariage de Sophie et Olivier a lieu le 24 novembre 1835. Il a 30 ans et elle en a 29. Contrairement à la coutume, le nouveau marié vient habiter chez l’épouse, puisqu’il n’a pas de propriété à ce moment-là. L’expérience de la vie de couple d’Olivier se fera simultanément avec celle de la paternité, puisque Sophie a déjà quatre enfants de 2 à 8 ans.

 Olivier Vézina Olivier OLIVIER VÉZINA
photographié chez Livernois à Québec .

SOPHIE LEMIEUX Sophie Lemieux épouse d'Olivier Vézina

L’épouse d’Olivier

Un an après leur union, naît leur premier fils, Olivier-Désiré (futur chanoine). Sept garçons verront le jour, sur une période de 14 ans; un à tous les deux ans. Quatre étudieront plus tard au Séminaire de Québec; l’éducation des enfants occupe une place de choix au sein de la famille. Aux recensements, on note qu’Olivier engage des domestiques; nécessité oblige: 11 enfants et un chef de famille souvent absent du foyer, par son métier. Les relevailles, à elles seules, l’imposent pratiquement, et les revenus le justifient. C’est d’ailleurs d’usage d’avoir des «serviteurs» chez ses quatre frères, aussi pilotes de profession.

Au baptême de six des enfants (sur 7), ceux qui naissent entre avril et octobre, le père est absent; le fleuve l’appelle. C’est aussi sans la présence de son mari que Sophie vit ses grossesses. La famille prend de l’ampleur; l’épouse du navigateur doit faire preuve d’autonomie. Malgré l’énergie et l’ardeur de sa jeunesse, l’inquiétude s’insinue à l’approche des accouchements. Imaginons l’insupportable douleur lors de la perte d’un enfant ! Solidarité féminine prend tout son sens entre les belles-soeurs, puisque les épouses des cinq frères Vézina (pilotes) en ont perdu plusieurs.

LES ÉCUEILS:

Revenons au pilotage, qui est le quotidien d’Olivier pendant quarante ans. La morphologie du Saint-Laurent, son chenal tortueux, parfois très étroit, ses puissants courants et ses fortes marées le rendent particulièrement redoutable. Le brouillard et les glaces deviennent des ennemis menaçants. Il faut s’y connaître et avoir l’âme intrépide.
«De 1840 à 1849, il y a eu 238 bâtiments océaniques déclarés perdus, dont 54% le furent dans les limites du Golfe Saint-Laurent..».

(Le Saint-Laurent et ses pilotes, 1805-1860, Jean Leclerc, p.93).

Il n’est pas démesuré d’affirmer qu’on avait besoin d’hommes de fer sur ces coques de bois.

Les aides à la navigation se font rares, et les accidents, chose courante; les points de repère sont des rochers, moulins, clochers d’églises, maisons. Les documents de recherche nous amènent dans un monde proche de celui du film d’aventures. Touchante description de naufrage, que celle du Capitaine Alexis Painchaud (cousin des 5 frères Vézina, pilotes) qui consigne les douloureux moments des dernières heures de sa vie et insère ce récit dans une bouteille… qui sera retrouvée… Invraisemblable, pourtant vérédique.

En 1805, le Havre (Port) de Québec recevait 150 navires; entre 1831 et 1864, au-delà de 1,000 par année, en raison surtout du blocus continental de Bonaparte contre l’Angleterre, qui s’approvisionnait en bois dans les pays scandinaves. Québec compte 18,000 habitants en 1815 et passera à 42,052 en 1851, relativement à ce boom économique. Cette période 1820 – 1860 est « l’âge d’or » de la construction navale et de l’exportation du bois. 50 navires par année sont érigés. On emploie 2,200 ouvriers permanents. Les chantiers maritimes sont en effervescence. Dans le milieu de la navigation, tout est inter-relié: le commerce du bois, de la potasse, de la perlasse, des poissons, des fourrures, etc… etc…

Soulignons que les frères Vézina étaient pilotes durant l’immigration massive des Irlandais dans les années 1830. Ils pilotaient les navires se rendant l’Île-de-la-Quarantaine, infestée par le choléra, le typhus. Déjà menacés par les flots, ils le furent aussi par les épidémies.

Voilier Jeanie Johnston (2), replique de l'original  1847; photo Le Soleil 26-09-03  «TYPE» de voilier que pilotaient Olivier et ses frères.

Voilier le Jeanie Johnston (réplique de l’original de 1847)
photo Le Soleil, 26 septembre 2003

voilier Jeanie Johnston photo/ Gérard Vézina 2003

Le même voilier, photographié par Gérard Vézina en 2003,
dans le Port de Québec.

VIE SOCIALE:

Olivier, résident de l’Isle-aux-Grues, passe beaucoup de temps «en ville». Ses fonctions le demandent. Il rend visite à ses fils, étudiants au Séminaire de Québec, dont il est plutôt fier. Il voit Québec en évolution constante. La Citadelle sera construite sous ses yeux (1823-1830). Il est témoin du feu du 28 mai 1845, qui détruit 1,600 maisons et fait 50 morts; de celui qui ravage le quartier Saint-Jean, en juin de la même année, rasant entre 1,400 et 1,500 maisons. Cette désolation est commune à tous les citoyens.

Il assiste à la transformation des coques de bois en coques de fer ou d’acier. Les voiles cèdent la place à la vapeur. Les temps changent. Le Canada qui comptait 500,000 habitants quand il était enfant, dépasse maintenant les trois millions. La Confédération de 1867 a lieu alors qu’il atteint l’âge de la retraite.

LE PRÊTEUR:

Olivier mène une activité financière digne de mention. On ne peut passer sous silence cet aspect de sa personnalité. C’est un imporant bailleur de fonds des clients du notaire Abraham Larue, de Cap Saint-Ignace. Entre 1835 et 1866, on dénombre 150 actes notariés à son nom, dont les 3/4 portent sur un prêt d’argent. Il a des propriétés telles l’Île-à-Deux-Têtes; il achète, conjointement avec le seigneur McPherson, le fief seigneurial des Îles-Patience et l’Île-aux-Canots (couvertes de chêne et de bois de grève).

Difficile d’évaluer le montant que pourrait représenter ces prêts d’argent. Il est l’un des gros investisseurs de la région. Les débiteurs sont des collègues de travail, des membres de la famille, ou des clients du notaire.

Les dernières années de sa vie sont riches en évènements: En 1863, son fils aîné, Désiré, accède à la prêtrise; un grand honneur à l’époque. En 1864, son épouse Sophie décède, à 54 ans. Son fils Fénélon lui succédera sur la terre paternelle, située près de l’église. Au printemps suivant, deux autres fils, Omer et Cajetan, partiront vers une grande aventure, pour devenir pionniers Vézina à Hébertville, Lac Saint-Jean. Wilfrid est marchand à l’Isle-aux-Grues, tandis que Maxime migre au Centre du Québec. C’est son aîné, L’Abbé Désiré, qui est désigné légataire universel, lors du testament; une rente annuelle de 150 Livres par année lui est léguée (ça représentait trois fois le salaire annuel moyen d’un ouvrier).

Dans ce testament, on reconnaît en lui un homme juste, en plein contrôle de ses moyens, plutôt fortuné et soucieux de l’avenir de ses fils. Il décède le 18 septembre 1879, âgé de 74 ans.

Ses descendants sont fiers d’être identifiés comme faisant partie de la lignée de cet homme entreprenant, dynamique et prospère.

Extrait de: «L’ancêtre Olivier Vézina, 1805-1879, une famille de pilotes sur le Saint-Laurent» , Gérard Vézina, 2004 (173 pages).

Résumé par: Céline Bédard-Vézina

GÉNÉALOGIE D’OLIVIER VÉZINA

1ère - Jacques Vezinat marié à Marie Boisdon, contrat 10 juin 1640, à La Rochelle, France
2è - François Vezinat, Le puîné, marié à Marie Clément, le 10 avril 1679, à L’Ange-Gardien
3è - Pierre Vézina , marié à Elisabeth Mathieu, le 22 février 1710, à L’Ange-Gardien
4è - Jean-Baptiste Vesina marié à Marie-Geneviève Trudel, le 30 janvier 1757, à L’Ange-Gardien
5è - Pierre Vézina marié à Élisabeth Bourgault, le 10 juillet 1797, à L’Islet
6è - Olivier Vézina marié à Sophie Lemieux, le 24 novembre 1835, à L’Isle-aux-Grues

7è -génération: LEURS ENFANTS

Olivier-Désiré, ordonné prêtre à Québec le 19-09-1863
Fénélon, marié à Célina Painchaud, le 31-01-1865, à L’Isle-aux-Grues
François-Aglae 1840-1846
Wilfrid marié à Aurélie Lavoie, le 11-11-1865, àL’Isle-aux-Grues
Cajetan, marié à(1) Ésilda Painchaud, le 10-09-1866, à L’Isle-aux-Grues;
(2) Laure Simard, le 10-02-1890, à Hébertville
Omer, marié à Marie-Victoire Vézina, le 07-09-1868, à L’Isle-aux-Grues
François-Aglae dit Maxime, marié à Elmina Joncas, le 16-08-1870, à Saint-Thomas-de-Montmagny

par: Céline B-Vézina (003)
mai 2012